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Faces of Finance

Accompagner la croissance d’une startup avec Ninon Toquet de Getaround

Faustine Rohr-Lacoste
Faustine Rohr-Lacoste Spendesk

Nous sommes allés à la rencontre de Ninon Toquet, qui vient de quitter ses fonctions de Directrice financière EMEA chez Getaround (ex-Drivy), pour explorer de nouvelles opportunités.

Ninon a fait l'essentiel de son parcours en comptabilité avant de rejoindre Cheerz d'abord, qui lui confie la responsabilité administrative et financière de la startup, puis Drivy 3 ans après. De Paris à Gloucester, du grand groupe à la startup, et de la comptabilité à la finance, nous avons retracé ensemble son parcours professionnel, au gré des différents challenges qu'elle a relevés.

D'où viens-tu ? Etais-tu prédestinée à la finance ?

Je n'étais pas prédestinée à la finance, loin de là. Je suis issue d'un milieu modeste. Ma mère était comptable générale et mon père entrepreneur. J'ai toujours vu mes parents travailler énormément. Ils m'ont transmis leur valeur sacrée du travail.

Après le bac, je me suis orientée vers un BTS en comptabilité. Est-ce que j'aurais pu faire mieux ? Avec le recul, je pense que oui. A cette époque, je n'avais pas du tout connaissance des possibilités pour entrer dans des grandes écoles. Je pense que notre milieu social détermine notre horizon des possibles, en quelque sorte. A l'époque le mien était plutôt restreint. Heureusement, mes professeurs m'ont encouragé à poursuivre mes études. Ils ont bien fait car je me suis révélée par la suite.

C'est finalement lors d'un stage au cours de ma licence en ressources humaines que j’ai vraiment découvert les grandes écoles. J’étais alors chargée d’analyser les candidatures, ce qui m’a permis de repérer l'ISC, que j’ai rejoins plus tard en admission parallèle, pour y apprendre la finance.

En sortant des études, j'ai suivi la voie classique de l'audit avant de partir en Australie apprendre l'anglais. A mon retour, j'ai eu envie de repasser du côté métier pour apprendre à faire les choses que je ne faisais que contrôler jusque là. C’est à ce moment là que je me suis tournée vers l’expertise comptable.

La suite de ton parcours t'a-t-elle permise d'atteindre cet objectif ?

J'ai la chance d'avoir pu travailler dans des entreprises de tailles variées et dans des environnements très différents. Chez Caudalie, nous étions 800 personnes environ. En revanche, Kohler est un énorme groupe, où je m'occupais d'une filiale française qui commercialise du mobilier très haut de gamme.

Mon arrivée chez Kohler s'est fait dans le contexte d'un remplacement d'une personne qui partait après un burn-out. Malheureusement, la comptabilité n'avait pas été bien tenue. Ce qui a eu pour conséquence de laisser penser à la maison mère que la filiale se portait mal. De mauvaises décisions ont été prises ayant eu pour conséquence le départ de tous les commerciaux sans remplacement. J'ai passé 1 an à retravailler les chiffres pour présenter l'entreprise sous un jour nouveau et permettre une belle reprise de l'activité, qui a eu lieu par la suite. C'était une expérience très opérationnelle et très formatrice. J'ai été confrontée à des problématiques fiscales complexes, avec des conventions fiscales entre différents pays et j’ai énormément appris dans cet environnement.

Et pourtant tu n'es restée qu'un an chez Kohler, que s'est-il passé ?

J'ai découvert la dureté du management à l'anglo-saxonne et les spécificités du travail en shared services européen où, en tant que fonction support en finance, on se sent très loin de l’activité et des équipes métier. C’est un mode de travail très particulier qui rejoint un peu l’ambiance du cabinet sans le challenge intellectuel. Par ailleurs, le management est radical, les départs se font très vite et avec peu de bienveillance à l'égard des salariés sortants et restants. Bien que cette opportunité m'ait donné la chance de travailler dans un univers international en multi-GAAP et avec d’importants challenges en fiscalité et la gestion inter-entreprises, je décide de rentrer et prendre un poste où je peux avoir plus d’impact.

Quel regard portes-tu sur le management "à la française" ?

Je trouve que les managers tombent trop souvent soit dans le piège de l'affect avec leurs équipes, soit dans celui du "petit chef". C'est notamment le problème du manager qu'on met à ce poste juste parce qu'il est là depuis plus longtemps que les autres, sans être formé ni accompagné. C'est un vrai challenge de devoir manager des gens qui ont des niveaux d'études, et des compétences équivalentes aux nôtres.

Je trouve aussi qu'on sanctionne beaucoup les managers, qui ont du coup tendance à vouloir cacher leurs difficultés. La bienveillance c'est de dire les choses avec franchise pour aider l'autre à s'améliorer. J'ai eu à manager une seule personne chez Cheerz. Quand il y a des difficultés, c'est très dur de savoir si elles viennent de la personne que l'on a en face de soi, ou du style de management que l'on adopte. Il n'y a personne pour nous aider à savoir si ce que l'on fait est juste.

Ninon Toquet

Directrice financière EMEA chez Getaround

Je trouve qu'on sanctionne beaucoup les managers, qui ont du coup tendance à vouloir cacher leurs difficultés. La bienveillance c'est de dire les choses avec franchise pour aider l'autre à s'améliorer.

D'ailleurs, au moment de définir la fiche de poste, j'ai eu un choix managérial intéressant à faire entre déléguer les tâches les moins intéressantes de mon job pour alléger ma charge de travail, ou de confier la responsabilité entière d'une des sociétés de mon périmètre. J'ai choisi la 2ème option, sans regret.

Revenons sur ton arrivée chez Cheerz à ton retour en France. C'est la découverte de la startup pour toi non ?

Aurélien et Antoine m'ont fait confiance dès le départ, sur un poste de responsable financière et administrative, où tout était à faire. Ils avaient à l'époque un CFO externe à mi-temps et bénéficiaient aussi des précieux conseils de Serena Capital, un de leur fond actionnaire. J'ai commencé par internaliser la finance, puis la gestion de la paie. J'ai accompagné plusieurs "bridge" et ai participé au rachat de la société Wizito qui faisait des bornes photos, ainsi que de l'un de nos imprimeurs.

J'ai été le témoin de la forte croissance de l’entreprise qui s’est accompagnée de la croissance des effectifs et de la difficulté de maintenir tout le monde à bord. Cheerz a connu plusieurs vagues de départs successives mais je crois que c'est finalement naturel. Les salariés de la première heure ont en général du mal à trouver leur place à mesure que la société se structure. Ils perdent la proximité avec les dirigeants et les frissons du début. Vivre ça était vraiment tout nouveau pour moi. C'est très spécifique à l'univers startup.

Puis, tu as rejoint Drivy, qui est devenu Getaround. Comment as-tu vécu le rachat de la société par l’Américain GetAround ?

Après Cheerz, j’avais envie de travailler dans une entreprise qui ait un vrai impact positif sur l’environnement et la mission de Drivy, une plateforme d’autopartage, répondait à mes attentes.

Je suis arrivée il y a 3 ans chez Getaround (ex.Drivy) et un des objectifs de la Finance était de faire une nouvelle levée de fonds qui nous permettrait d'accroître notre présence à l’international et de prendre une position de leader sur le marché. Après plusieurs mois, c’est finalement Getaround, un concurrent américain, qui venait de faire une levée de fonds de 300 millions de dollars (notamment auprès de Softbank), qui nous a offert d’allier nos forces pour devenir le leader mondial de l’autopartage.

Vivre une levée qui se transforme en M&A est une aventure exceptionnelle car cela ne se produit pas tous les jours mais c’est également éreintant. En effet, il faut produire beaucoup de documentation financière tout en envisageant plusieurs scénarios et en continuant de réaliser les tâches quotidiennes aux côtés des équipes.

Après le rachat, le métier est devenu plus routinier pour moi. C'est souvent le cas d'ailleurs après un rachat. C'est pour cela que j'ai pris la décision de partir vers de nouvelles aventures.

Chez Drivy, tu as aussi monté une équipe entière non ?

Ca a été une de mes plus belles réussites chez Drivy. Accompagner les fondateurs pour faire financer l’entreprise c'est très gratifiant mais monter une équipe performante l’est tout autant. Recruter, faire grandir une équipe et la motiver, ça c'est un réel challenge au quotidien et donc une source de satisfaction immense quand c'est "Mission accomplie". J'aime recruter des profils atypiques, donner sa chance à des gens dont le CV n'est pas le plus parfait. Ca créé une confiance qui est un atout pour la vie d'une équipe. J'ai recruté des gens très curieux qui se sont intégrés avec une facilité déconcertante. Bien plus vite que moi d'ailleurs !

Et pourtant, mon arrivée n'a pas été facile. Avant moi, il y avait une équipe finance en place qui était toujours là à mon arrivée mais à d'autres fonctions. Il y a eu une défiance dès le début entre nous, posant de réels soucis au quotidien. Tout ça s'est réglé avec beaucoup de persévérance et de temps. Je crois que c'est le plus gros challenge que j'ai eu à relever.

Est-ce que la taille de la société a un impact sur ton rôle ?

La distinction ne se fait pas nécessairement sur la taille mais en partie sur la complexité du business. Cheerz était une société plus petite et avec un business model disons plus “classique”. Je travaillais directement avec les fondateurs. Il n'y avait pas de complexité particulière donc je ne peux pas dire que j'avais un rôle de conseil crucial à jouer auprès d'eux. C'est d'ailleurs pour renforcer mon rôle de "business partner" que j'ai voulu rejoindre Drivy, dont le modèle est plus complexe. Ca me plaisait aussi de rejoindre une startup de la sharing economy.

En revanche, il y a de réelles différences entre le rôle de DAF en startup et dans une boite traditionnelle. Normalement, l'indicateur clé d'un DAF c'est la rentabilité. Dans une startup, on vise le développement rapide de l’activité en mesurant des indicateurs clés qui ne sont pas nécessairement des indicateurs de profit, du moins, dans un premier temps. Le rôle du DAF est d'évaluer à partir de quel moment les pertes liées à l’investissement dans la croissance sont dangereuses, et à quel moment elles sont "valorisantes" pour la startup. C'est pour cela qu’il faut avoir l’oeil sur plein d'autres indicateurs comme la croissance, le "repeat" (ie. faculté à générer plusieurs ventes sur un même client), l’acquisition et le churn (ie. taux de résiliation).

A l'inverse, ce qui est déroutant en startup, c'est qu'il y a tellement d'outils de BI, que le rôle de communication des chiffres est délégué aux outils. Les équipes, Growth notamment, sont donc autonomes de ce point de vue et n'ont plus besoin de toi pour connaitre les chiffres de la croissance.

Ninon Toquet

Directrice financière EMEA chez Getaround

Le rôle du DAF est d'évaluer à partir de quel moment les pertes liées à l’investissement dans la croissance sont dangereuses, et à quel moment elles sont “valorisantes” pour la startup.

Quelle leçon as-tu retenu de tes 3 dernières années chez Drivy ?

En arrivant, j'ai été submergée par la multiplicité des tâches et j'ai totalement négligée de faire des efforts pour m'intégrer à un groupe très soudé, notamment constitué d'anciens. J'ai connu ça chez Cheerz et j'ai peut-être pensé à tort que ça viendrait naturellement. Il est important de prendre le temps de comprendre les enjeux et le quotidien des autres équipes.

Quels outils ou ressources recommandent-tu ?

Je suis fan de la suite Lucca (SIRH) et de Nibelis pour la paie. C'est plus cher et moins connu que Payfit mais à mon sens le logiciel est plus robuste et crédible.

Pour la compta, j'ai beaucoup utilisé Sage 100. A mon avis, les DAF font trop souvent l'erreur de tarder à internaliser la compta. Je trouve qu'on a une meilleure maîtrise des clôtures en internalisant. A l’inverse, souvent les DAF ont tendance à mettre en place de gros outils tels que certains ERP qui, outre leur coût, sont complexes à intégrer et peu flexibles si l’entreprise pivote.

En terme de ressources, je suis fan de Simon Sinek dont je recommande la lecture de “Start with Why” et "Leaders eat last".

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